Déguerpissement
au marché colobane
Des
commerçants dans l’obligation de quitter
Ce vendredi, les commerçants du marché Colobane ont débuté leur journée avec
une colère bleue. Leur lieu de travail a été déguerpi la veille, causant
d’énormes dégâts matériels chez certains marchands. De loin, le changement du
marché saute à l’œil. De la gauche du rond-point à proximité de la maison du
Parti Socialiste jusqu’au rond-point Colobane, des pierres, de la ferraille, des
morceaux de zinc et de poutre font le
décor en lieu et place des commerçants et de leurs clients. Le marchandage
habituel a laissé la place aux lamentations, des bruits de marteaux tapés sur
le zinc et des Caterpillar. Sous la surveillance des policiers, visages moins
radieux sur lesquels le désarroi se lit visiblement, les commerçants, tentent
de sauver le reste de leurs marchandises. À côté, les Caterpillars rasent des
bâtiments qui abritaient des mécaniciens métalliques et des ateliers de
maçonnerie. Certains transportent à bord de charrettes et de pousse-pousse le
reste de leur marchandise, leurs outils de travail, des morceaux de poteaux et
quelques zincs.
Dans ce nouveau visage
poussiéreux et très désordonné du marché Colobane, se trouve Ndeye Thiam,
victime de la démolition. En robe bleue, portant à la tête une bassine noire
remplie de savon liquide de marque Madar, le désespoir se lit à travers son
visage poussiéreux. « Ma cantine est
détruite. Je l’avais chargée des produits de lessive et des sacs mais à ma
grande surprise, ce matin j’ai trouvé qu’ils l’ont tous rasé. » déplore la
dame qui pleurniche. Il ne lui reste plus qu’à verser des larmes. Elle était
debout à côté d’un groupe de jeunes marchands et tabliers ayant le même souci
qu’elle. « Si nous avions été prévenus
tôt ou bien qu’ils nous donnent des indemnités, nous serions partis sans
problème, mais ce qui s’est passé là est vraiment compliqué pour nous qui
n’avons pas où aller. J’ai reçu hier soir l’information. Les gens disaient que cette
partie appartenait aux Lébous et qu’ils voulaient récupérer leur terrain. Mais
je pensais que c’étaient juste des rumeurs » poursuit-elle en soulignant
ses pertes estimées à hauteur d’un million de FCFA. « J’ai le cœur meurtri qui fait que je suis resté là depuis ce matin à
regarder ces Caterpillar. Je ne connais que ce marché où j’effectue mon
commerce depuis 2012. » glisse Mame Thierno, un des jeunes commerçants
assis sur un pneu avec ses amis. « Je
suis venu vers 8 heures pour démarrer mon activité puisque depuis quelques
jours j’étais à Touba pour la fête de la korité. Mais comme vous le voyez, je
n’ai trouvé aucune de mes marchandises. Nous sommes jeunes, nous ne comptons
que sur ce petit commerce pour gérer nos vies » regrette le natif de Touba,
qui a quitté la ville sainte pour gagner sa vie à Dakar en s’activant dans la
vente de friperie. Il interpelle les autorités pour qu’elles les viennent en
aide.
À quelques mètres de ce
groupe, en bordure de la route, quatre hommes détruisent avec des marteaux un
hangar qui leur servait d’atelier de menuiserie de bois. Ce qui dégage un bruit
assourdissant qui s’ajoute aux klaxons des véhicules. Très réticents, ils
répondent à peine aux salutations et se méfient de se prononcer avant qu’un d’entre
eux tente d’expliquer sous le couvert de l’anonymat. « On nous avait donné la faveur d’évacuer tous nos bagages le plus
rapidement possible. Ils n’ont pas rasé notre place parce que ce sont des
matériels lourds mais après avoir pris nos matériels, nous récupérons le zinc
pour pouvoir le réutiliser. » dit l’homme de taille courte, masque bien
serré faute d’absorber la poussière. Il affirme comprendre ce déguerpissement.
Selon lui, les bandits se cachaient dans les lieux.
Nous gagnions notre vie ici.
Non loin de là, Seynabou Diop
est assise avec quelques femmes. Elles sont toutes restauratrices. De teint
clair, mine serrée, la mère de famille ne revient pas de ce déguerpissement.
Elles sont toutes dans le désespoir. « Thie marché bi la donne soutouroul.
Thie la yorone xallé ak dithie faye sen diangue yi ak yeup» (Ce marché me
permet de gagner ma vie et d’élever mes enfants ainsi que de payer leurs études,
en wolof) lâche mère Seynabou. De grande corpulence, la dame observe son
activité basculée. Elle affirme avoir perdu son mari, qui a laissé avec elle
une progéniture. Pas qu’elle, Khadidiatou Ba est dans la même situation. Elle
avoisine les 60 ans. La maman travaillait à Colobane avec ses enfants qui
l’aidaient à servir les plats. « Guis nga
niaar nioniou la » (ce sont ces deux). Les deux jeunes hommes indiqués vêtus
l’un en maillot de l’équipe nationale et le plus petit en chemise verte très
défraichie, sont restés très sages à
côté d’elle, les yeux rivés sur les Caterpillar d’à côté. Ils doivent être dans
la quinzaine
Nous
ne sommes pas notifiés.
« Des hommes sont venus hier soir ici et nous ont sommés de quitter cette
partie du marché immédiatement. Je n’ai pas vu de notification ni rien »
fustige Khadiatou Ba dans le désarroi. Elle poursuit pour confirmer que
personne ne leur a proposé un site de recasement. « Des hommes venant de la préfecture de Dakar sont venus ici. Mais
j’étais sortie et ils ont remis la sommation à un de mes apprentis. À mon retour,
il m’a expliqué que nous devions quitter les lieux » contredit Mbaye Diouf
dit Mbaye Bou Gatt. En tenue bleue dont la couleur à laisser la place au noir,
menuisier tente d’apporter des explications à ces commerçants. Il est l’un des
représentants du marché. « Ils m’ont dit
que les agresseurs se cachaient ici après avoir volé ou agressé. »
renchérit-il. Cet argument est largement partagé par El Hadj Ibrahima Diabaté,
habitant de Colobane. « La nuit, personne
n’osait passer par là car les agresseurs se cachaient ici du fait du manque de
lumière qui profitait aux bandits » se réjouit Diabaté. Il a son téléphone
en train de filmer les bâtiments affaissés. Il a l’air content de cette
opération de déguerpissement. Il explique que ce terrain qui abritait une
partie du marché appartient à la communauté lébous de Dakar.
Les
lébous propriétaires du terrain
« Les
Lébous nous avaient prêté ce terrain depuis très longtemps pour qu’on puisse
travailler. On n’a rien à dire à part leur remercier du fait de cet acte noble
qu’ils ont fait en nous permettant de travailler depuis tout ce temps. »
soutient Mbaye Diouf. « Ce terrain
appartient au défunt El Hadj Ameth Diène, ancien maire de la Médina »
renchérit El Hadj Ibrahima Diabaté. Il souligne que les habitants du quartier
faisaient usage de ce terrain pour les besoins de la prière des fêtes de la
Tabaski ou de la Korité.
Quelques descendants de la
famille Diène étaient de passage au marché Colobane pour s’enquérir de la
situation des commerçants, selon toujours le représentant Mbaye Diouf.
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